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RAYTAR, Yémen –  « C’était un matin d’une journée de travail normale, avant que les combats ne s’intensifient près de l’hôpital. J’ai entendu une mère crier au portail », raconte à l’UNFPA Shrook Khalid Saeed, sage-femme à l’hôpital Al Shaab dans le district de Kraytar, au Yémen.

Le temps qu’elle arrive à l’entrée de l’hôpital, les hostilités dans le quartier s’étaient violemment aggravées et un conflit armé avait éclaté. « Dans la rue, des balles arrivaient de tous les côtés », se souvient-elle. « Quand je suis arrivée au portail, j’ai trouvé cette femme enceinte allongée au sol, appelant à l’aide. Je l’ai attrapée et poussée dans une voiture… et c’est là que tout s’est enchaîné. En quelques minutes, elle avait donné naissance à un petit garçon en bonne santé. »

L’accouchement peut déjà être une épreuve dans des moments pourtant apaisés, mais la cascade de crises humanitaires au Yémen a rendu la transition vers la maternité plus dangereuse que jamais. Le conflit interminable qui fait rage dans le pays a beaucoup affaibli le système de santé. Actuellement, seule la moitié des structures de santé est opérationnelle.

Le Dr Kanem discute avec des femmes à la maternité ; les patientes expriment leurs craintes. © UNFPA Yémen

La pandémie n’a fait qu’aggraver les choses, puisque 15 % du système de santé s’est réorganisé pour s’occuper des cas de COVID-19. 20 % seulement des structures de santé opérationnelles fournissent des services de santé maternelle et infantile.

Aujourd’hui, une femme meurt en couches au Yémen toutes les deux heures, presque toujours de causes évitables. À présent, la famine menace également de submerger le pays.

« La situation est catastrophique », a déclaré le Dr Natalia Kanem, directrice de l’UNFPA, à l’occasion de sa visite de trois jours dans le pays.

La peur omniprésente dans un lieu habituellement plein de joie

Les femmes enceintes et allaitantes sont particulièrement vulnérables dans les périodes d’insécurité alimentaire. Actuellement, 1,2 million de femmes enceintes et allaitantes sont en situation de malnutrition sévère, et ce chiffre pourrait doubler si les financements humanitaires nécessaires ne sont pas rapidement trouvés. 

« Quand je suis venue pour une consultation prénatale à l’hôpital Al Shaab, j’étais très faible et très pâle. Je ne pouvais même pas me tenir debout », raconte à l’UNFPA Hafsa, 33 ans, à l’occasion de la visite du Dr Kanem. « Mon état nutritionnel était déplorable. On m’a donné des médicaments pour compléter mon alimentation, et on m’a conseillée de manger de la viande, des légumes et des fruits. »

Des dessins ornent les murs d’un refuge pour femmes. © UNFPA Yémen

Une nutrition correcte était cependant inaccessible à cause du faible revenu de sa famille. Lorsqu’elle a donné naissance à sa fille quelques mois plus tard, celle-ci ne pesait que 1,8 kg. « Mon bébé est resté à l’hôpital plusieurs jours, car je ne produisais pas assez de lait pour la nourrir », explique Hafsa.

La malnutrition met en grave danger à la fois les femmes qui accouchent et les nouveau-nés.

« J’ai visité de nombreuses maternités, et ce sont généralement des lieux de grande joie. Mais au Yémen, j’ai constaté les dégâts terribles que font la malnutrition et la faim, j’ai vu des nouveau-nés avec des sondes gastriques et des mères affaiblies par la peur et l’épuisement », déplore le Dr Kanem. « C’est un crève-cœur de voir des êtres humains vivre dans des conditions si difficiles, alors que l’humanité est une grande famille. »

Des violences au sein du foyer

La vulnérabilité des femmes et des filles à la violence s’est grandement accrue depuis le début de la crise au Yémen.
Lors de sa visite, le Dr Kanem s’est adressée à une assemblée de femmes dans un refuge soutenu par l’UNFPA.

Une jeune fille, Alea*, a raconté au Dr Kanem avoir été mariée à 13 ans. Le mariage d’enfants est de plus en plus utilisé comme recours par les familles pauvres.

« Lorsque j’ai dit à mon père que je ne voulais pas me marier, lui et ma grand-mère m’ont battue avec un tuyau. Ils m’ont dit que j’aurais une meilleure vie si je me mariais », raconte-t-elle. « Ma vie n’a fait qu’empirer. Mon mari a commencé à vendre tous mes bijoux, et lorsque je lui en parlais, il me battait. Je me suis enfuie chez mon père, mais il m’a battue lui aussi et renvoyée chez mon mari. Je n’avais plus nulle part où aller. »

Un·e voisin·e a aidé Alea à s’enfuir. Elle vit au refuge depuis plus de cinq mois, assiste à des sessions de formation et rêve de reprendre sa scolarité.

« J’ai discuté avec des jeunes filles et des femmes enceintes qui ont dû fuir pour sauver leur vie, et chercher une protection dans des sites gérés par l’UNFPA, qui comptent parmi les rares espaces sûrs pour les femmes et les filles », souligne le Dr Kanem.

L’UNFPA soutient huit refuges de ce genre et 51 espaces sûrs dédiés aux femmes et aux filles. L’an dernier, l’agence a fourni à plus de la moitié des structures de santé du Yémen des médicaments essentiels, et a aidé plus d’1,2 million de femmes et de filles à avoir accès à des services de santé procréative.

Il faut pourtant renforcer drastiquement ce soutien.

« Les femmes et les filles du Yémen méritent la paix. Depuis trop longtemps, elles sont prisonnières d’un conflit dont elles ne sont pas responsables », s’insurge le Dr Kanem. « Le monde doit agir dès maintenant ».

*Le prénom a été changé pour garantir l’anonymat