CAMP D’AZRAQ, Jordanie/HOMS, Syrie/NATIONS UNIES, New York – « J’ai passé les quatre premiers jours du confinement à appeler les bénéficiaires pour les informer de la disponibilité d’un soutien virtuel », raconte à l’UNFPA Orouba Amin, conseillère psychologique au camp de réfugié·e·s d’Azraq (Jordanie).
Mme Amin propose depuis 11 ans un soutien psychologique aux survivantes de traumatismes et de violences, qu’elles soient réfugiées et fuient les terribles conséquences de la guerre sur les femmes, ou qu’elles soient encore des jeunes filles voulant échapper aux abus sexuels et à l’exploitation. Aujourd’hui, une nouvelle menace s’ajoute à son travail : la pandémie de COVID-19.
Dans le monde entier, les gouvernements mettent en place des mesures de confinement et de restrictions des déplacements, les centres et espaces sécurisés pour femmes ferment leurs portes, alors même que les données dont on dispose montrent que la violence basée sur le genre pourrait bien augmenter.
Les pays voient également leurs services de santé sexuelle et procréative réduits, car les ressources sont réorientées vers la réponse à la pandémie. Là où les soins procréatifs restent disponibles, les restrictions de déplacement et la peur du virus empêchent les femmes d’accéder aux soins.
Avec la pandémie, les difficultés auxquelles sont confrontées filles et femmes (parfois enceintes) sont exacerbées. © UNFPA Syrie
Dans ces conditions, les communautés touchées par des crises humanitaires sont particulièrement à risque. Beaucoup doivent déjà faire face à la pauvreté et à un accès limité aux services de santé. Les mesures de contrôle de l’infection sont encore plus difficiles à mettre en place au sein d’installations densément peuplées, qui ne disposent pas toujours d’un accès à l’eau et à des ressources sanitaires.
Ces difficultés sont largement exacerbées pour les femmes enceintes, celles qui ont besoin de contraceptifs ou d’une protection contre la violence.
Nulle part où aller
En Jordanie, où près de 400 cas de COVID-19 ont été confirmés, un couvre-feu a été imposé pour ralentir la propagation du virus.
Au camp d’Azraq, cela pose des difficultés supplémentaires, car on compte en moyenne 7 personnes par « caravane » ou abri préfabriqué. Les commerçant·e·s ont du mal à importer les aliments et produits essentiels, et les possibilités de gagner sa vie sont très limitées lorsque l’on est confiné·e chez soi. Les familles ont des décisions de plus en plus difficiles à prendre pour réussir à se nourrir.
Selon Mme Amin, c’est « une période extrêmement difficile ». Photo avec l’aimable autorisation d’Orouba Amin.
Alors que la vie sociale s’organise de plus en plus en ligne, le harcèlement sexuel aussi, témoigne une femme auprès de l’UNFPA.
Les espaces sécurisés du camp dédiés aux femmes et aux filles, gérés par l’International Rescue Committee et soutenus par l’UNFPA, ont été fermés.
Avec ses collègues, Mme Amin s’évertue à trouver de nouveaux moyens d’aider les femmes et les filles qui en ont besoin.
Elle propose actuellement beaucoup de consultations par téléphone, mais beaucoup de femmes n’ont pas l’intimité nécessaire pour parler de sujets sensibles. D’autres ne disposent pas de leur propre téléphone.
Les conseiller·e·s ont adopté des protocoles stricts pour le contact avec ces femmes et garantir leur sécurité. Si c’est leur conjoint qui décroche, les conseiller·e·s peuvent par exemple prétendre appeler pour donner des conseils de contrôle de l’infection ou des recommandations d’hygiène, ce qu’ils font également d’ailleurs.
Mme Amin offre aussi une assistance par SMS ou WhatsApp.
« Une femme m’a envoyé un message sur le numéro WhatsApp dédié et lorsque je lui ai répondu, elle m’a dit "Je vais bien, tant que je sais que vous êtes là si j’ai besoin de vous", et cela m’a énormément touchée », raconte-t-elle.
Un soutien sans faille
Les familles ont bien du mal à se procurer des produits d’hygiène pour lutter contre l’infection, explique Mme Bulad. © UNFPA Syrie
Dans les situations de crise humanitaire, la vulnérabilité des femmes à la violence et à l’exploitation augmente. Même avant la pandémie, des centaines de femmes et de filles vivant en situation de crise humanitaire mouraient chaque jour de complications dues à leur grossesse ou à leur accouchement. Maintenant que les systèmes de santé et les services de protection sont soumis à beaucoup de pression à cause de la pandémie, les conditions de vie des femmes sont sur le point d’empirer.
L’UNFPA a appelé à un financement d’urgence pour le Plan global de réponse humanitaire au COVID-19, dont 120 millions de dollars nécessaires pour que l’agence puisse assurer la santé et la sécurité des femmes et des filles affectées par les crises humanitaires. De plus, l’UNFPA a également lancé un appel à réunir 67,5 millions de dollars pour soutenir les efforts de lutte contre le COVID-19 en mars et avril.
Le montant total de ce financement (187,5 millions de dollars) permettra de renforcer les systèmes de santé, de fournir du matériel médical essentiel aux soignant·e·s, de faire repartir les services de santé sexuelle et procréative, et d’assurer la continuité des services dédiés aux survivantes de violences basée sur le genre. Ce budget est différent du financement humanitaire nécessaire à l’UNFPA pour continuer son soutien aux pays touchés par des crises.
L’appel humanitaire de l’UNFPA et son plan de réponse au COVID-19 demandent tous deux des fonds flexibles pour assurer une réponse prompte selon l’évolution de la situation sur le terrain.
L’UNFPA accélère déjà ses efforts pour répondre à la pandémie dans les situations de crise humanitaire.
En Syrie, qui est également dotée d’un couvre-feu, les travailleur·se·s de proximité mènent des actions de sensibilisation à la pandémie, aux mesures de contrôle de l’infection et aux droits des femmes.
La lutte sera rude, a expliqué Ghadeer Mohammed Ibrahim Qara Bulad, directrice du Projet de développement dédié aux femmes, au sein de l’Association islamique de charité, à Homs. « La majorité des familles auxquelles nous rendons visite sont terriblement pauvres et ne peuvent même pas acheter de stérilisateurs », explique-t-elle.
Elle a également été témoin d’une violence basée sur le genre très répandue, et craint qu’elle ne fasse que s’aggraver. « Lors de mes visites, j’ai rencontré une femme battue par son mari pendant le couvre-feu », explique-t-elle. « Je pense que le taux de violence basée sur le genre va augmenter, et de façon drastique ».
Comme celle de Mme Amin et de bien d’autres agent·e·s humanitaires, sa détermination ne faiblit pas.
« Il faut rassembler tous nos efforts pour atteindre [nos objectifs] avec le moins de pertes matérielles et humaines possibles », déclare Mme Bulad.